Sécurité au Sahel : les Européens entrent dans la danse

14 août 2020

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Sommet de Pau le 13 janvier dernier. (c) Guillaume Horcajuelo/Pool Photo via AP) - AP22417656_000050

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Sécurité au Sahel : les Européens entrent dans la danse

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Voilà sept ans que la France lutte militairement dans la bande sahélo-saharienne. Si certains pays européens sont présents de longue date à ses côtés, le dispositif Barkhane pâtissait de la relative timidité de ce soutien. Or, depuis le Sommet de Pau, cette tendance commence à s’inverser.

 

Le soutien européen dans les Sahel est resté timide pendant plusieurs années, voire circonspect, notamment après les revers subis par les armées du G5 Sahel dans Liptako-Gourma (région des trois-frontières Mali, Niger, Burkina). Des revers actant alors le manque de pertinence des conditions d’emplois opératives de la force Barkhane. D’où l’organisation du Sommet de Pau (janvier 2020), dans le sillage de sommet du G7 à Biarritz, afin de remobiliser une opération à bout de souffle. L’objectif militaire était de concentrer les forces de Barkhane [dans la région des trois frontières] et d’augmenter le tempo des opérations afin de maintenir une pression constante sur l’État islamique au Grand Sahel (EIGS). Et, in fine, empêcher ce dernier de constituer un sanctuaire territorial et lui reprendre l’initiative. Quelques mois plus tard, cet objectif est en partie rempli et on constate une autonomie croissante des armées du G5 même si beaucoup reste à faire. En parallèle des résultats engrangés, le volontarisme diplomatique de la France est parvenu à convaincre ses partenaires européens d’amplifier leur engagement.

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Cela étant la France n’a jamais été réellement isolé au Sahel. Les forces françaises s’inscrivent depuis l’origine dans un dispositif international, sur lequel elles exercent un leadership. Ce dispositif est composé de la force onusienne Minusma (maintien de la paix dans la moitié nord du Mali, renseignement…) de l’armée américaine (transport, ravitaillement en vol, renseignement aérien…) et des forces du G5 Sahel en unités nationales ou dans le cadre de leur force conjointe (FC-G5S).

 

Dynamiser l’existant

Dans ce dispositif s’insèrent également les Européens, en commençant par la Minusma (14 000 soldats) dont les contingents britannique et allemand ont annoncé le renforcement de leurs effectifs respectifs. La Minusma est importante dans la mesure où elle facilite la tenue du terrain dans des zones moins contestées (Mali du Nord), facilitant dès lors la concentration géographique des forces françaises. Son mandat ne permet cependant qu’un usage très limité de la force : une prérogative que la France voudrait voir évoluer pour employer les forces de l’ONU à plein potentiel. Par ailleurs, l’Union européenne entretient au Mali et au Niger une mission de formation (EUTM) depuis 2013. Destinée à former les cadres sous-officier des armées du G5, elle a vu récemment son mandat prolongé jusqu’en 2024 et ses prérogatives élargies à l’accompagnement sur le terrain et l’assistance militaire. C’est une avancée importante dans la mesure où la mission était critiquée pour son contenu trop théorique. Son dimensionnement a par ailleurs été revu à la hausse, portant les effectifs espagnol et allemand à respectivement 600 et 450 personnels. Enfin, les Espagnols demeurent très présents dans des missions de transport de troupe intra-théâtre.

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Par ailleurs, dépendant directement de Barkhane, le maintien de contingents danois (70 soldats) et britannique (100 soldats) a été confirmé. Présent depuis respectivement huit mois et deux ans, ils mettent en œuvre des hélicoptères de transport lourd (trois CH 47 Chinook britanniques ; deux Merlins suédois). La France manque de ce type d’aéronefs capables de transporter rapidement plusieurs dizaines de combattants (44 pour un Chinook) et leur équipement, ou encore du fret. Sur un théâtre d’opérations caractérisé par son élongation, ces hélicoptères permettent une plus grande souplesse d’emploi des forces et une grande réactivité face à un adversaire fugace et dilué dans son environnement. En outre, sont présents une centaine de soldats d’infanterie estoniens accompagnés de leurs cinq blindés VBCI (Véhicules Blindés de Combat d’Infanterie). Cet engagement crescendo, pour un effectif actuel de 300 hommes, peut paraître modeste. Il permet pourtant à l’armée française de faire preuve de plus d’agilité et de combler certains manques capacitaires, favorisant de facto l’exécution du cœur de mission de l’opération Barkhane : la confrontation directe avec les groupes armés terroristes dans les zones les plus contestées.

 

La Task Force Takuba pour un nouvel élan militaire à la coalition 

Outre la consolidation des forces européennes déjà présentes, la France est parvenue à mobiliser ses alliés dans le cadre d’une opération conjointe plus ample : la Task Force Takuba. Composée de forces spéciales, elle devrait être FOC (Full operational capability) d’ici le début 2021 et compter environ 500 hommes. Elle se déploiera progressivement dès ce mois de juillet 2020 avec un premier contingent franco-estonien d’une quarantaine d’hommes, puis un suivant, franco-tchèque (60 hommes) en octobre, suivi par un troisième de 150 à 200 Suédois début 2021. La perspective d’un renfort de 200 Italiens a été évoquée, même si non encore confirmée. Par ailleurs la Grèce s’est récemment dite intéressée, lors de la première réunion de la Coalition pour le Sahel (12 juin), par l’envoi d’un contingent dans la Task Force : le pays s’inquiète en effet de la situation au Sahel, dont elle attribue en partie la responsabilité aux manœuvres de son rival turc en Libye. Enfin des officiers belges, hollandais et portugais seront déployés dans le cadre du poste de commandement (PC) de la Task Force. Les contingents européens seront projetés sur le théâtre d’opérations avec leurs matériels, dont des aéronefs de manoeuvre suédois (trois NH 90 et Black Hawk) et Italiens (8 vecteurs), si Rome confirme sa participation. Ces aéronefs similaires, voire identiques, à ceux utilisés par les forces françaises, ils en allégeront la charge opérationnelle déjà très lourde.

 

Quels emplois pour la Task Force ?

Les conditions d’emploi de Takuba suivront la même logique de complémentarité avec le dispositif Barkhane que leurs homologues des forces conventionnelles déjà engagés. L’un de ses mandats phare sera la formation et l’accompagnement au combat des forces du G5 Sahel dont les nouvelles unités spéciales maliennes : Unités Légères de Reconnaissance et d’Intervention ((ULRI) ou les Unités Spéciales Anti-Terroristes (USAT). L’accompagnement des forces du G5 est une mission fondamentale de Barkhane, qui la remplit via son partenariat militaire opérationnel (PMO). A terme, les forces armées sahéliennes devront pouvoir se charger seules de leur sécurité : le retour d’expérience avec des unités d’élite [européennes] expérimentées en contre-terrorisme (Afghanistan, Irak…) sera alors précieux. Des transferts de savoir-faire en termes de commandement et contrôle, de renseignement et d’interopérabilité, seront probablement mis en place via le PC de la Task Force, à l’image des mécanismes de commandement conjoints déjà déployés par Barkhane auprès des états-majors du G5 et de la FCG5S. Dans cette optique, contrairement à ce qui a pu être dit, le mandat de Takuba ne chevauchera pas directement celui de la Task Force Sabre (100% française), basée au Burkina Faso, qui mène essentiellement des opérations de traque de cibles à haute valeur, de reconnaissance et de renseignement.

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La nature des forces qui seront formées et accompagnées au combat par les soldats de Takuba témoigne d’un changement important dans les doctrines d’emplois de l’armée malienne. Jusqu’ici les forces maliennes s’étaient inscrites dans un modèle similaire aux armées européennes, mais sans l’expérience, la structure organique ou les moyens technologiques (transmissions, commandement&contrôle, aéronefs de transport ou de bombardements…). Des défauts structurels et conceptuels affectant leur mobilité, entrainant un sous-dimensionnement en effectifs par rapport aux doctrines employées et la difficile intégration des matériels procurés par les Occidentaux. Une situation qui explique en partie les revers cuisants subis à la fin 2019 et au début de l’année 2020. Les unités ULRI, USAT et dans une moindre mesure les GATA (Guetteur Aériens Tactique Avancés), constituent donc une évolution positive de la perception des FAMa de leur environnement opérationnel. Ces forces, formées par la France et l’Europe, privilégient l’autonomie et la mobilité tactique, le combat dans la profondeur, la collecte du renseignement et la synchronisation interarmes. En d’autres termes les forces sahéliennes ripostent de plus en plus directement aux modes opératoires des Groupes Armés Terroristes (GAT). Ces réformes doctrinales et opératives ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles entreprises avec succès par l’armée mauritanienne dans les années 2010 ou encore l’armée tchadienne.

 

La question du contre-terrorisme au Sahel s’impose à l’Europe et n’est pas une affaire d’opinion, ainsi que la France est parvenue à le faire comprendre à ses partenaires. Le Sommet de Pau, et les gains militaires significatifs engendrés par le tournant opératif qui y fut engagé ont permis une mobilisation croissante des Européens, jusqu’ici présents, mais tièdes. Cette dynamique enclenchée confirme l’élan inédit qui a été donné il y a six mois et qui devrait encore se confirmer dans les mois à venir. Les pays européens semblent de plus en plus convaincus de la capacité de la France à exercer un leadership militaire sur une coalition internationale : exercice que seuls les Américains étaient en mesure de fournir jusqu’ici. Et Athènes, Bruxelles et Lisbonne sont déjà sur les rangs pour s’investir encore plus dans l’opération. Le prochain sommet, début 2021, sera l’occasion d’un premier bilan et potentiellement d’une nouvelle impulsion.

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Pierre d'Herbès

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